Lâéducation est ignoranceExtrait du livre Class Warfare Noam ChomskyVO : CHOMSKY.INFO, 1995 (Extrait du livre Class Warfare, 1995, p. 19-23, 27-31) VF : CHOMSKY.fr, 15 avril 2010 Traduction : T. pour CHOMSKY.fr |
Interview mené par David Barsamian
DAVID BARSAMIAN: Lâun des héros du renouveau actuel de la droite⦠est Adam Smith. Vous avez effectué des recherches très impressionnantes sur lui qui ont fait remonter à la surface⦠beaucoup dâinformations qui ne circulent pas. Vous lâavez souvent cité décrire « lâabominable maxime des maîtres de lâhumanité : tout pour nous et rien pour les autres. » NOAM CHOMSKY: Je nâai pas du tout fait de recherches sur Smith. Je lâai juste lu. Il nây a pas de recherches. Je lâai lu tout simplement. Il est pré-capitaliste, câest une des figures des Lumières. Il mépriserait ce que nous appelons capitalisme. Les gens lisent des bribes dâAdam Smith, les quelques phrases quâils enseignent à lâécole. Tout le monde lit le premier paragraphe de « La Richesse des Nations » où il dit combien la division du travail est merveilleuse. Mais peu poursuivent des centaines de pages plus loin, où il dit que la division du travail détruira les êtres humains et transformera les gens en créatures aussi stupides et ignorantes quâil est possible de l'être pour un humain. Et que par conséquent, dans toute société civilisée, le gouvernement devra prendre des mesures pour empêcher la division du travail dâatteindre ses extrêmes. Il a donné un argument en faveur des marchés, mais lâargument était que sous condition dâune liberté parfaite, les marchés mèneraient à lâégalité parfaite. Câest l'argument en leur faveur, parce quâil pensait que lâégalité de condition (pas seulement lâopportunité) était ce que à quoi lâon devait tenter dâaboutir. Et ça revient toujours et toujours. Il donna une critique dévastatrice de ce que nous appellerions les politiques Nord-Sud. Il parlait de lâAngleterre et de lâInde. Il a sévèrement condamné les expériences que les britanniques menaient à lâépoque et qui étaient en train de dévaster lâInde. Il a aussi fait des remarques, qui devraient être des truismes, sur la façon dont lâEtat fonctionne. Il signala quâil est totalement absurde de parler dâune nation et de ce que nous appellerions aujourdâhui les « intérêts nationaux ». Il a simplement observé au passage, parce que câest trop flagrant, quâen Angleterre, qui est le sujet dont il discute â et câétait alors la société la plus démocratique -, les principaux architectes de la politique sont « les marchands et les manufacturiers », et quâils sâassurent que leurs propres intérêts soient, selon ses propres mots, « particulièrement pris en considération », quelquâen soit lâeffet sur les autres, y compris le peuple anglais qui, câest ce quâil soutient, a souffert de leurs politiques. Il nâavait pas les éléments pour le prouver à cette époque, mais il avait probablement raison. Un siècle plus tard, ce truisme fut appelé analyse de classe, mais vous nâavez pas besoin de lire du Marx pour la trouver. Câest très explicite chez Adam Smith. Câest si flagrant quâun enfant de 10 ans peut le voir. Il nâen a donc pas fait grand cas. Il lâa juste mentionné. Mais câest correct. Si vous lisez ses travaux, il est intelligent. Câest une personne qui vient des Lumières. Sa motivation principale était lâhypothèse que les gens sont guidés par la sympathie et les sentiments de solidarité ainsi que le besoin de contrôler leur propre travail, tout comme les autres penseurs des Lumières ou du début du Romantisme. Il fait partie de cette période, des Lumières Ecossaises. La description quâon fait de lui aujourdâhui est tout simplement ridicule. Mais je nâai pas eu à faire des recherches pour en arriver à cette conclusion. Tout ce que vous avez à faire est de le lire. Si vous savez lire, vous le trouverez. Jâai recherché un peu la façon dont c'est traité, et câest intéressant. Par exemple, lâuniversité de Chicago, le grand bastion de lâéconomie de marché, a publié une édition bicentenaire du héro, une édition savante avec un énorme index et toutes les notes de bas de page et lâintroduction écrites par un lauréat du Prix Nobel, George Stigler. Une authentique édition dâérudit. Câest celle que jâai utilisée. Câest la meilleure version. Le cadre académique était très intéressant, y compris lâintroduction de Stigler. Il est probable quâil nâa jamais ouvert « La Richesse des Nations ». Presque tout ce quâil dit du livre est complètement faux. Sur ce sujet, jâai examiné un tas dâexemple par écrit, dans « lâAn 501 » et ailleurs. Mais dâune certaine façon, lâindex était encore plus intéressant. Adam Smith est très connu pour son plaidoyer en faveur de la division du travail. Regardez dans lâindex « division du travail » : il y a des tas de choses listées. Mais il y en a une manquante, à savoir sa dénonciation de la division du travail, celle que je viens de citer. Je ne sais pourquoi mais elle est absente. Et ça continue comme ça. Je nâappellerais pas ça de la recherche car ça prend 10 minutes de travail, mais si vous regardez lâédition savante, câest alors intéressant. Je veux être clair sur ce sujet. Il y a de bonnes études sur Smith. Si vous lisez la recherche sérieuse sur Smith, rien de ce que je dis nâest une surprise pour quiconque. Comment le serait-ce ? Vous ouvrez le livre, vous le lisez et ça vous saute aux yeux. Dâun autre côté, si vous regardez le mythe dâAdam Smith, qui est le seul que lâon trouve, lâécart entre le mythe et la réalité est énorme. Ceci est valable pour le libéralisme classique en général. Ses fondateurs, des gens comme Adam Smith et Wilhelm von Humboldt, lâun des grands représentants du libéralisme classique, et qui inspirèrent John Stuart Mill â ils étaient ce que nous appellerions des socialistes libertaires, câest du moins ainsi que je les lis. Par exemple, Humboldt, comme Smith, dit : songez à un artisan qui construit de belles choses. Humboldt dit que si il le fait par coercition externe, comme une paie, pour des salaires, on admirera ce quâil fait mais on méprisera ce quâil est. Dâun autre côté, si il le fait librement, comme expression de son libre arbitre, de sa propre volonté, et non pas à cause de la coercition externe du travail salarial, alors nous admirons aussi ce quâil est parce quâil est un être humain. Il a dit que tout système socioéconomique décent sera basé sur l'hypothèse selon laquelle les gens ont la liberté de sâinformer et de créer â vu que câest la nature fondamentale des humains â en libre association avec les autres, mais certainement pas sous le genre de contraintes externes qui furent appelées capitalisme. Câest la même chose avec Jefferson. Il vécut un demi-siècle plus tard, il a donc vu le capitalisme dâétat se développer, et il le méprisait bien sûr. Il a dit que ça mènerait à une forme dâabsolutisme pire que celui contre lequel nous nous étions défendu. En fait, si vous parcourez cette période entière, vous y verrez une critique très nette et acerbe de ce que nous appellerons plus tard « capitalisme » et de sa version du 20° siècle, qui est conçue pour détruire lâindividu, même dans le capitalisme entrepreneurial. Il y a un courant parallèle qui est rarement pris en compte mais tout aussi fascinant. Câest la littérature ouvrière du 19° siècle. Ils ne lisaient pas Adam Smith et Wilhelm von Humboldt, mais ils disent les mêmes choses. Lisez les journaux sortis par les personnes appelées les « filles de lâusine de Lowell », des jeunes femmes dans les usines, des mécaniciennes et dâautres ouvriers qui dirigeaient leurs propres journaux. Câest le même genre de critique. Il y eut une vraie bataille de la part de la population active en Angleterre et aux E.U. pour se défendre contre ce quâils appelaient la dégradation, lâoppression et la violence du système capitaliste industriel, qui non seulement les déshumanisaient mais réduisait aussi radicalement leur niveau intellectuel. Vous retournez donc au milieu du 19° et ces « filles dâusines », des jeunes filles travaillant dans les fabriques de Lowell (dans le Massachusetts), lisaient de la littérature de qualité de lâépoque. Ils ont identifié que lâélément clé du système était de les transformer en outils qui seraient manipulés, dégradés, maltraités etc. etc. Et ils ont âprement combattu ceci sur une longue période. Câest lâhistoire de lâessor du capitalisme. Lâautre aspect de lâhistoire est le développement des grandes firmes, ce qui est un évènement intéressant en lui-même. Adam Smith nâen a pas beaucoup parlé, mais il a critiqué ses premières étapes . Jefferson a vécu suffisamment longtemps pour en voir les débuts, et il leurs était très opposé. Mais le développement des grandes firmes a réellement eu lieu au début du 20° siècle et très tard dans le 19° siècle. Au début elles existaient en tant que service public. Les gens sâalliaient pour construire un pont et ils étaient incorporés dans ce but par lâEtat. Ils construisaient le pont et câétait fini. Elles étaient supposées avoir une fonction dâintérêt publique. Dans les années 70, les états supprimaient les chartes dâentreprise. Elles étaient accordées par lâEtat. Elles nâavaient aucune autorité. Câétaient des fictions. Ils supprimèrent les chartes dâentreprise car elles ne remplissaient pas une fonction publique. Puis vous passez à lâépoque des compagnies et des firmes et des divers efforts pour consolider le pouvoir qui commençait à se mettre en place à la fin du 19°. Il est intéressant de regarder la littérature. Les tribunaux ne lâont pas vraiment accepté. Il y eut quelques indices de ceci. Ce nâest pas avant le début du 20° siècle que les tribunaux et les avocats conçurent un nouveau système socioéconomique. Ce ne fut jamais fait par la législation. Ce le fut principalement par les tribunaux, les avocats et le pouvoir quâils détenaient sur les états. Le New Jersey fut le premier état à offrir aux sociétés tous les droits quâelles souhaitaient. Le capital du pays tout entier commença bien évidemment à affluer soudainement vers le New Jersey. Les autres états durent donc faire la même chose afin de se défendre, sous peine dâêtre anéantis. Câest une sorte de globalisation à petite échelle. Puis les tribunaux et les avocats arrivèrent et créèrent un nouveau corps entier de doctrine qui donna aux firmes une autorité et un pouvoir quâelles nâavaient jamais eu auparavant. Si vous regardez le contexte de lâépoque, câest le même qui mena au fascisme et au bolchevisme. Beaucoup de tout ceci fut soutenu par des gens appelés progressistes, pour ces raisons : ils affirmaient que c'était la fin des droits individuels. Nous sommes dans une période où les compagnies prennent le pouvoir, où le pouvoir se consolide et se centralise. Câest censé être bénéfique si vous êtes un progressiste, par exemple un marxiste-léniniste. De ce contexte sortirent trois choses majeures : le fascisme, le bolchevisme et la tyrannie dâentreprise. Ils sortirent plus ou moins tous les trois des mêmes racines hégéliennes. Câest assez récent. Nous pensons aux grandes firmes comme quelque chose dâimmuable, mais elles furent montées de toutes pièces. Ce fut une création consciente qui fonctionna comme Adam Smith lâavait dit : les architectes principaux de la politique renforcent le pouvoir étatique et lâutilisent selon leurs propres intérêts. Ce nâétait certainement pas la volonté populaire. Câest essentiellement les décisions des cours et des avocats qui créèrent une forme de tyrannie privée en de nombreux aspects maintenant plus écrasante que ne lâétait la tyrannie étatique. Ce sont des parties majeures de lâhistoire moderne du 20° siècle. Les libéraux classiques seraient horrifiés. Ils nâavaient pas imaginé ça. Mais les petites choses quâils avaient vues les avaient déjà horrifiés. Cela aurait totalement scandalisé Adam Smith ou Jefferson ou quelquâun comme eux⦠BARSAMIAN: ⦠Vous êtes très patient avec les gens, particulièrement ceux qui posent les questions les plus idiotes. Est-ce quelque chose que vous avez cultivé? CHOMSKY: Premièrement, dâhabitude je fulmine intérieurement, ce que vous voyez donc à lâextérieur nâest pas nécessairement ce qui se trouve à lâintérieur. Mais en ce qui concerne les questions, la seule chose qui mâirrite est lâélite intellectuelle, les trucs quâils font me dérange. Je ne devrais pas. Je devrais mây attendre. Mais ça mâirrite. Mais dâun autre côté, ce que vous décrivez comme idiot m'apparaissent comme des questions parfaitement honnêtes. Les gens nâont pas de raison de croire autre chose que ce quâils disent. Si vous vous demandez dâoù vient le questionneur, à ce à quoi il a été exposé, câest une question très rationnelle et intelligente. Ca peut sembler idiot dâun autre point de vue, mais ça ne lâest pas du tout selon le cadre dâoù elle émerge. Câest plutôt raisonnable en règle générale. Il nây a donc pas de quoi être énervé. Vous pouvez être désolé des conditions dans lesquelles les questions surviennent. La chose à faire est dâessayer de les faire sortir de leur prison intellectuelle, qui nâest pas simplement accidentelle comme je lâai mentionné. Pour reprendre lâexpression dâAdam Smith, de gros efforts sont nécessaires pour arriver à rendre les gens « aussi stupide et ignorant quâil est possible de lâêtre pour un humain ». Une grande partie du système éducatif est conçu pour ça. Si vous y réfléchissez, il est conçu pour la passivité et lâobéissance. Dès lâenfance, une grande partie est conçue pour empêcher les gens dâêtre indépendants et créatifs. Si vous êtes de tempérament indépendant à lâécole, vous rencontrerez certainement des problèmes très tôt. Ce nâest pas le trait préféré ou encouragé. Quand les gens survivent à tout ça, plus la propagande économique, plus la presse et la masse toute entière, le déluge de distorsion idéologique permanent, ils posent des questions qui dâun autre point de vue sont complètement raisonnables⦠BARSAMIAN: Lors de la conférence Mellon que vous avez donnée à Chicago⦠Vous vous êtes concentré principalement sur les idées de John Dewey et Bertrand Russell (dans le domaine de lâéducation)⦠CHOMSKY: ...Câétaient des idées hautement libertaires. Dewey lui-même vient tout droit du courant majoritaire américain. Les gens qui lisent ce quâil a vraiment dit le considèreraient maintenant comme un extrémiste anti-américain dérangé ou quelque chose dans le genre. Il exprimait la pensée majoritaire avant que le système idéologique nâait si monstrueusement déformé la tradition. De nos jours câest méconnaissable. Par exemple, non seulement il était dâaccord avec toute la tradition des Lumières qui était que, comme il le disait, « le but de la production est de produire des gens libres » - il a dit « des hommes libres », mais câétait il y a très longtemps. Câest le but de la production, pas de produire des marchandises. Câétait lâun des principaux théoriciens de la démocratie. Il y avait beaucoup de sortes différentes, contradictoires de la théorie démocratique, mais celle dont je parle pensait que la démocratie requérait la dissolution du pouvoir privé. Il a dit quâaussi longtemps quâil y aurait un contrôle privé sur le système économique, les discussions sur la démocratie étaientt une plaisanterie. En reprenant en gros Adam Smith, Dewey disait que la politique est lâombre que les grandes entreprises projettent sur la société. Il a dit quâatténuer lâombre ne servait pas à grand-chose. Les réformes la laisseraient tyrannique - fondamentalement une opinion libérale classique. Son point principal était que vous ne vous pouvez pas même parler de démocratie tant que vous nâavez pas un contrôle démocratique de lâindustrie, du commerce, de la banque, de tout. Ce qui signifie un contrôle par le peuple qui travaille dans les institutions, et les communautés. Ce sont des idées anarchistes et socialistes libertaires standards qui remontent aux Lumières, un développement naturel des opinions telles que celles dont nous parlions avant, et qui se sont développées avant celles du libéralisme classique. Dewey les représentait pendant la période moderne, tout comme Bertrand Russell, mais dâune autre tradition, mais encore enracinée dans les Lumières. Ils étaient deux des principaux, si ce nâest les deux principaux penseurs du 20° siècle, dont les idées sont aussi connues que celles du vrai Adam Smith. Ce qui est un signe de lâefficacité du système éducatif, et du système de propagande, à tout simplement détruire jusqu'à notre connaissance de nos propres origines intellectuelles immédiates. BARSAMIAN: Dans cette même conférence, vous avez paraphrasé Russell sur lâéducation. Vous avez dit quâil avait promu lâidée que lâéducation ne doit pas être vue comme quelque chose qui remplit un vase avec de lâeau, mais plutôt comme aider une fleur à pousser selon sa nature⦠CHOMSKY: Câest une idée du 18° siècle. Je ne sais pas si Russell la connaissait ou lâa réinventée, mais vous lisez cela comme âstandardâ dans la littérature du début des Lumières. Câétait lâimage qui était utilisée⦠Lâopinion dâHumboldt, le fondateur du libéralisme classique, était que lâéducation est un problème visant à dérouler un fil suivant lequel lâenfant se développera, mais à sa manière. Vous pouvez guider un peu. Câest ce que lâéducation sérieuse devrait être, du jardin dâenfants jusquâaux études secondaires. Câest ce qui se passe dans les sciences avancées, parce que vous ne pouvez pas faire autrement. Mais la majeure partie du système éducatif est très différente. Lâéducation de masse fut conçue pour transformer les fermiers indépendants en instruments de production dociles et passifs. Câétait son premier objectif. Et ne pensez pas que les gens nâétaient pas au courant. Ils le savaient et lâont combattu. Il y eut beaucoup de résistance à lâéducation de masse pour cette raison. Câétait aussi compris par les élites. Emerson a dit une fois quelque chose sur la façon dont on les éduque pour les empêcher de nous sauter à la gorge. Si vous ne les éduquez pas, ce quâon appelle lâ« éducation », ils vont prendre le contrôle â « ils » étant ce quâAlexander Hamilton appelait la « grande Bête », c'est-à -dire le peuple. La poussée anti-démocratique de lâopinion dans ce qui est appelé les sociétés démocratiques est tout bonnement féroce. Et à juste titre, puisque plus la société devient libre, plus dangereuse devient la « grande bête » et plus vous devez faire attention pour la mettre en cage dâune manière ou dâune autre. Mais il y a des exceptions : Dewey et Russell en font partie, bien quâils soient complètement marginalisés et inconnus alors que tout le monde les louent comme ils le font pour Adam Smith. Ce quâils ont réellement dit serait considéré comme intolérable dans le climat autocratique de lâopinion dominante. Lâélément totalitaire de cette dernière est assez frappant. Le simple fait que le concept « anti-américain » puisse exister â je ne parle pas de son utilisation â manifeste un côté totalitaire vraiment dramatique. Ce concept, lâanti-américanisme â sa seule véritable contrepartie est lâanti-soviétisme dans le monde moderne. Dans lâUnion Soviétique, le pire crime était dâêtre anti-soviet. Câest la caractéristique dâune société totalitaire dâavoir des concepts tels que ceux-ci. Ici câest considéré comme naturel. Les livres sur lâanti-américanisme, par des gens qui sont essentiellement des clones de Staline, sont hautement respectés. Câest vrai des sociétés anglo-américaines, qui sont de façon frappante les plus démocratiques. Je pense quâil y a une corrélation⦠Alors que la liberté sâaccroît, le besoin de forcer et de contrôler lâopinion grandit aussi si vous voulez empêcher la « grande bête » de faire quelque chose de sa liberté⦠â¦Dans leurs travaux sur le système éducatif américain il y a quelques années, deux économistes, Sam Bowles et Herb Gintis, ont fait remarqué que le système est divisé en morceaux. La partie destinée aux travailleurs et à la population est en effet conçue pour imposer lâobéissance. Mais lâéducation destinée aux élites ne peut être identique. Elle doit permettre la créativité et lâindépendance, sinon ils ne pourront faire leur boulot, câest à dire faire de lâargent. Vous trouvez la même chose dans la presse. Câest pour cela que je lis le Wall Street Journal, le Financial Times et Business Week. Ils doivent dire la vérité. Câest une contradiction dans la presse généraliste aussi. Prenez le New York Times et le Washington Post par exemple. Ils ont une double fonction et elles sont contradictoires. Lâune des fonctions est de soumettre la grande bête, lâautre est de laisser leurs lecteurs, qui font partie de lâélite, se faire une image raisonnablement réaliste de ce qui se passe dans le monde. Ils ne pourront satisfaire leurs propres besoins sinon. Câest une contradiction qui se ressent jusquâau sein du système éducatif. Câest totalement indépendant dâun autre facteur, à savoir lâintégrité professionnelle, que beaucoup de gens ont: lâhonnêteté, quelques soient les contraintes extérieures. Cela mène à diverses complexités. Si vous regardez dans le détail la façon dont les journaux fonctionnent, vous trouvez ces contradictions et ces problèmes qui se développent ensemble de manière compliquée... |