Science cognitiveNoam ChomskyVO : Znet, 28 mars 2010 VF : CHOMSKY.fr, 4 avril 2010 Traduction : Yann Le Du et Pierre Pica
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Q. Voyez-vous aujourdâhui quelque chose de « gros comme une maison » en science cognitive, tout comme vous lâavez vu il y a 50 ans, quelque chose qui doit être traité et qui reçoit trop peu dâattention ? R. Je devine que ce doit être une référence à ma critique du béhaviorisme radical. Eh bien, une chose qui je pense reçoit trop peu dâattention dans le domaine de la science cognitive est la science cognitive. Je pourrais prendre deux ou trois revues ici et donner des exemples. La science cognitive devrait se préoccuper... devrait juste être une partie de la biologie. Elle se préoccupe de la nature, de la croissance, du développement, peut être en fin de compte de lâévolution, dâun sous système particulier de lâorganisme, à savoir le système cognitif, qui devrait être traité comme lâest le système immunitaire ou le système digestif, le système visuel, et ainsi de suite. Quand on étudie ces systèmes, il y a un certain nombre de questions quâon pose. Une question est, bien entendu, vous savez, ce que sont ces sous-systèmes : peut-on les caractériser ? Mais cela manque presque totalement en science cognitive. Je veux dire, prenez mon propre champ dâintérêt, le langage. Des tonnes de travail dans ce qui est appelé âscience cognitiveâ sur ce quâils appellent âlangageâ, mais il est très rare de voir quelquâeffort pour caractériser ce que câest. Bon, si vous ne pouvez faire cela, ce que vous pouvez faire dâautre nâa pas grande importance. Le second type de question que vous devez poser à propos de nâimporte quel organe, si vous voulez (certains utilisent le terme de façon assez générale), ou à propos de tout sous système du corps, est comment ça devient ce que câest. Donc comment cela part dâun état initial, qui est génétiquement déterminé, pour arriver à tout état atteint ? Et en menant des recherches sur ce sujet, il y a de nombreux facteurs différents que vous pouvez distinguer pour des raisons analytiques. Lâun de ces facteurs est la constitution génétique spécifique qui est spécifiquement reliée à ce système. Cela ne veut pas dire que chaque morceau de celui-ci nâest utilisé que pour ce système, mais seulement toute combinaison de propriétés déterminées génétiquement qui suffisent à déterminer que vous avez un système visuel de mammifère plutôt que dâinsecte par exemple, ou un système qui régule le système digestif, ou quoique ce puisse être. Câen est un. Le second facteur est le statut des données extérieures qui modifient lâétat initial pour conduire à un état atteint. Et le troisième facteur est : comment les lois de la nature entrent-elles dans la croissance et le développement du système ? Et bien entendu elles le font, de façon massive. Je veux dire, personne, par exemple, ne suppose que vous avez un programme génétique particulier qui détermine que les cellules de scindent en sphères, non en cubes, disons -- cela est dû, vous savez, la minimisation de lâénergie, dâautres lois de la nature. Et la même chose est valable tout au long du développement. Bien sûr, la même chose est vraie pour lâévolution. Lâévolution se produit dans un sillon physique et chimique spécifique dâoptions et de possibilités, et les lois de la nature jouent tout le temps pour déterminer ce qui se passe. Et la troisième question est celle-là -- câest un peu comme une question de âpourquoiâ : pourquoi le système est-il ainsi et pas autrement ? Bon, ici aussi vous retournez à -- à ce moment vous faites vraiment face, premièrement, à juste des accidents historiques comme, vous savez, un astéroide frappe la Terre. Mais de façon plus significative, comment les propriétés physique et chimiques de lâunivers entrent en jeu pour déterminer que certains changements évolutionnaires se produisent dans certains circonstances ? Bon, câest lâensemble des questions qui devraient être posées. Il est très difficile de trouver des travaux oú lâaccent est mis sur ces questions, tout du moins dans les champs de la science cognitive qui mâintéressent particulièrement, comme le langage, par exemple. Ce que vous avez ce sont des efforts démesurés, qui sont parfois extêmement étranges, pour essayer de montrer que des problèmes triviaux pour lesquels fondamentalement nous connaissons les réponses, et ce depuis 60 ans, peuvent dâune certaine façon être traités par des analyses massives de données. Et donc je pourrais donner des exemples, mais -- et, en fait, jâai écrit sur des exemples. Mais je pense que cela ne va pas dans la bonne direction. Jâaimerais voir la science cognitive porter son attention sur des sujets quâelle devrait traiter. Maintenant, cela est fait à gros traits, donc il y en a une bonne partie qui le fait, et il y a de lâexcellent travail en science cognitive, mais câest selon moi bien trop restreint, et beaucoup de temps et dâefforts sont dépensés -- de mon point de vue perdus -- sur des questions périphériques qui en fait nâont aucun sens quand vous les regardez, et des efforts qui tout simplement échouent, et constamment. En fait, beaucoup dâentre eux sont un résidu du behaviorisme radical que le champ a essayé de vaincre au cours de son développement. Je pourrais donner des exemples, mais câest -- un sentiment très général, à gros traits -- injuste pour beaucoup de très bon travaux. Mais nous essayons de cerner des tendances qui je pense vont dans la mauvaise direction et perdent de vue leur cible. |